Au lecteur
Tiré du livre Jésus ou le contresens tragique.
Si les Évangiles laissent planer le mystère autour de la personne de Jésus en occultant allégrement toute une partie de sa vie appelée fort judicieusement « vie cachée», la Thora, elle, par contre, offre une transparence totale sur la vie des personnages illustres. Et c’est ainsi qu’à mon tour, je trouve tout à fait logique et normal de me faire connaître au lecteur, d’autant que tout ouvrage ne peut s’expliquer correctement sans une bonne connaissance de l’auteur. Un autre avantage non négligeable de cette démarche consiste à contrer du même coup toute velléité de mystification. En effet, mettez du merveilleux dans ma naissance, laissez planer le mystère sur une bonne partie de ma vie en occultant une période importante de dix ans, accréditez l’idée d’une révélation divine à l’âge de quarante ans, répandez la rumeur que ce livre a été écrit en une nuit sous l’inspiration de l’Esprit Saint, et vous aurez réuni tous les ingrédients qui, par le passé et pour d’autres personnages, ont fait preuve de leur efficacité !
Alors, disons que j’ai passé ma plus tendre enfance dans un petit village d’Alsace, situé à une cinquantaine de kilomètres au nord de Strasbourg. Sixième et dernier enfant d’une famille de cultivateurs, j’y ai grandi, entouré de l’affection des miens. Un jour, le hasard a voulu qu’un Père abbé vînt voir le curé pour lui demander s’il ne connaissait pas des enfants susceptibles d’être intéressés par la vocation religieuse. C’est ainsi que, ayant vécu dans une famille chrétienne profondément croyante, je pris le chemin d’un internat religieux tenu par des Pères Assomptionnistes. Dans ma tête de gamin de onze ans, devenir prêtre, c’était passer sa journée à apprendre à dire la messe. Mais quelle ne fut pas ma déception lorsque la voiture qui m’a amené à l’internat s’est arrêtée pile devant une salle de classe avec une carte de géographie accrochée au mur ! Alors que je pensais être débarrassé des études, voilà que les études me rattrapaient ! C’est ainsi que, année après année, je me suis retrouvé au grand Séminaire de Strasbourg. De cette dernière période j’ai gardé le souvenir d’une forte tristesse intérieure, car, contrairement aux dires de mon Père spirituel, l’amour de Jésus et de Marie n’arrivait pas à combler le vide de mon cœur, et le besoin d’aimer était immense. Était-ce la résurgence d’un vide affectif canalisé depuis des années, occasionné par la perte de mon père à l’âge de douze ans, et de ma mère cinq ans plus tard ? J’ai donc fini par quitter le grand Séminaire au bout de la deuxième année, avant de m’engager définitivement dans la prêtrise. Ce qui, au départ, devait n’être qu’une année de réflexion s’étira sur une période de trois ans au cours de laquelle j’ai fini par rencontrer celle qui allait balayer ma tristesse intérieure en devenant ma femme.
Mais ce plongeon dans le monde «laïc», après dix années de séminaire, n’avait nullement altéré ma foi. Mes convictions religieuses étaient intactes et la pratique dominicale restait assidue. Par la suite, les réunions liturgiques et les animations de messe ont contribué à approfondir un peu plus cette foi par le biais de la recherche et de la méditation des textes bibliques. Pourtant, une question me hantait depuis quelque temps et à laquelle je n’avais pas de réponse raisonnée. Pourquoi le peuple juif n’a-t-il jamais voulu reconnaître Jésus comme le Messie ? Il devait bien y avoir une explication et, s’il y en a une, il n’y avait pas de raison que je ne la découvrisse pas à mon tour. Certes, je ne connaissais pas la tradition orale juive, mais par contre je possédais leur tradition écrite : la Thora ! Et c’est ainsi que, durant deux ans et d’une manière acharnée, j’ai passé mon temps à lire et relire la totalité du Pentateuque et des Prophètes à l’affût du moindre indice. Tout mon temps libre y était consacré au point d’exaspérer mon entourage immédiat. Au bout de mes deux années de recherche obstinée, et devant le peu de résultat tangible, j’ai décidé de procéder différemment en reprenant la lecture de l’Évangile pour voir la cohérence du message évangélique avec celui de la Thora. Et là, surprise ! Je venais de quitter un monde et de rentrer dans un autre dans lequel je n’avais plus mes repères : ni le texte, ni le ton, ni les paroles de Jésus, ni sa manière d’agir ne correspondaient à ceux des écrits appelés improprement «l’Ancien Testament». C’était comme le jour et la nuit : d’un côté les textes mettaient en avant YHVH, de l’autre, le Dieu d’Israël avait disparu au profit de Jésus. Et c’est à ce moment-là que j’ai eu la révélation que Jésus ne pouvait prétendre au titre de prophète de YHVH, et encore moins à celui de fils de Dieu. Mais, je viens d’employer un mot malheureux : c’est celui de révélation qui, dans l’imagerie populaire, implique apparition d’anges, tonnerre, éclairs et tremblement de terre. Il n’y a rien eu de tout cela, hormis l’anéantissement de ma personne qui voyait s’écrouler, en quelques secondes, quarante-cinq ans de vie chrétienne assidue. Alors, plutôt que de parler de révélation, disons que cette intime conviction était d’une telle intensité que j’ai fini, quelques jours plus tard, par casser crucifix et jeter toutes images saintes. Mais restait à démonter le mécanisme de la divinité pour redonner à Jésus sa véritable dimension: celle d’un homme. En effet, durant les trente années précédant sa vie publique, Jésus a bien dû vivre quelque part. Les quelques tentatives de réponse à partir des Évangiles donnèrent peu de résultats probants. Et c’est à la lecture du livre d’André Dupont-Sommer sur les manuscrits de la mer Morte que les portes de l’inconnu allaient s’ouvrir. Avec ces textes anciens je me retrouvais à nouveau en pays de connaissance, mais cette fois-ci avec les textes du Nouveau Testament. Du coup, l’Évangile, longtemps présenté comme une nouveauté, se trouve réduit à n’être qu’en partie l’écho parvenu jusqu’à nous d’une Voix oubliée et occultée, qui jadis « criait » dans le désert de Juda.
C’est donc cette quête de l’Absolu que retrace ce livre dont l’écriture s’est étalée sur près de dix ans. Car combien de fois n’ai-je pas remisé mon manuscrit au fond d’un placard par manque d’inspiration ! Et il est resté là parfois quelques jours, parfois quelques semaines et parfois même plusieurs mois, me jurant bien de l’y laisser. Mais, irrésistiblement je le ressortais, soit pour y apporter une correction, soit pour y rajouter quelques lignes supplémentaires, soit tout simplement pour le relire.
Faut-il rappeler que ces quelques pages, résultat d’une réflexion personnelle sur des Textes sacrés, ne se veulent nullement scientifiques, au sens strict du terme. Ouvrage avant tout théologique, les citations viennent étayer l’argumentation. La fréquence de ces citations peut certes surprendre et choquer, mais il a paru plus judicieux de les reproduire, que de demander au lecteur d’entrecouper sa lecture par une recherche fastidieuse des textes bibliques.
Bernard HEYD